À l’heure des pandémies et des vastes questionnements sociétaux, notamment migratoires et environnementaux, les artistes céramistes s’imprègnent des réalités nouvelles, endossent des responsabilités et des culpabilités, incriminent l’Homo Sapiens Demens, pour reprendre les mots d’Edgar Morin, posent des constats et participent à leur façon au vaste concert des lanceurs d’alerte.
Paul Ardenne les appelle « artivistes ». Ils s’inscrivent dans une époque, la nôtre, marquée par le sentiment d’une civilisation finissante, d’une « modernité désenchantée » (1), assez comparable, à bien des égards, à l’esprit décadent qui marquait la fin du XIXe siècle : c’est quoi ce monde ? C’est quoi ce monde qui a renoncé à l’Eden ? C’est quoi ce monde qui laisse disparaître ses espèces et qui joue avec le vivant ? C’est quoi ce monde dans lequel l’homme luttera bientôt pour sa survie en terre hostile ? Tous ici déplorent l’état d’anthropocène tel que décrit par Paul Ardenn (2) et soulignent avec force la relation aujourd’hui très dégradée qui unit l’homme à la nature, qui unit l’homme à l’homme.
Les couleurs, les finitions, la beauté de la matière, l’apparente innocence, voire la drôlerie captent les regards, hypnotisent, fascinent.
Passé le cap de la séduction, le visiteur est subordonné à un tout autre discours ironique, cru, grinçant ou dénonciateur et à une réalité beaucoup plus amère. La majorité des artistes présentés ici l’énonce de façon narrative et opte pour la figuration. Seule Linda Swanson investit le terrain de l’art écologique en induisant des réactions chimiques à partir des éléments organiques des argiles et des pigments.
D’autres, privilégient nettement l’étrangeté et l’expriment avec force détails et exubérance.
Ils se meuvent dans une poétique débridée du décoratif et expriment ainsi leur incompréhension et leur résistance « contre l’abjection et la banalité du siècle » (3).
Beauté aussi parfois, pour dépeindre un mal-être personnel, une incapacité chronique à trouver un sens au jeu social et des réponses aux peurs qu’il inspire. Enfin, Jeremy Hatch et Kim Simonsson partagent une vision à caractère mythologique et la nostalgie d’un âge primitif, vécu « comme un moment élu de fusion » (4) avec la nature.
Toutes les céramiques présentées dans le cadre de l’exposition Beautés équivoques interrogent, de façon plus ou moins directe, la conscience du visiteur.
Stéphanie Le Follic-Hadida
Commissaire et auteur des textes du catalogue.
Docteur en histoire de l'art, Vice-présidente de l'Académie internationale de la Céramique (AIC / IAC),
Membre fondateur du salon de céramique contemporaine C14-PARIS.
1-Titre d’un livre coécrit par Emmanuel Fureix et François Jarrige, la Découverte, 2015.
2-Paul Ardenne, Un art écologique, création plasticienne et anthropocène, La Muette / Le Bord de l’Eau : « Car l’anthropocène est là, cette ère de la vie de notre planète où les effets de l’activité humaine affectent celle-ci, en surface et dans l’atmosphère. » « [...] moment inaugural de l’histoire de notre planète où les activités humaines ont acquis le pouvoir d’agir sur le cours géologique de nos milieux de vie. »
3-Séverine Jouve, Obsessions et Perversions dans la littérature et les demeures à la fin du 19e siècle, collection Savoir : Lettres, Hermann, 1996.
4-Ardenne, Op. cit., p.95.
Paul Ardenne les appelle « artivistes ». Ils s’inscrivent dans une époque, la nôtre, marquée par le sentiment d’une civilisation finissante, d’une « modernité désenchantée » (1), assez comparable, à bien des égards, à l’esprit décadent qui marquait la fin du XIXe siècle : c’est quoi ce monde ? C’est quoi ce monde qui a renoncé à l’Eden ? C’est quoi ce monde qui laisse disparaître ses espèces et qui joue avec le vivant ? C’est quoi ce monde dans lequel l’homme luttera bientôt pour sa survie en terre hostile ? Tous ici déplorent l’état d’anthropocène tel que décrit par Paul Ardenn (2) et soulignent avec force la relation aujourd’hui très dégradée qui unit l’homme à la nature, qui unit l’homme à l’homme.
Les couleurs, les finitions, la beauté de la matière, l’apparente innocence, voire la drôlerie captent les regards, hypnotisent, fascinent.
Passé le cap de la séduction, le visiteur est subordonné à un tout autre discours ironique, cru, grinçant ou dénonciateur et à une réalité beaucoup plus amère. La majorité des artistes présentés ici l’énonce de façon narrative et opte pour la figuration. Seule Linda Swanson investit le terrain de l’art écologique en induisant des réactions chimiques à partir des éléments organiques des argiles et des pigments.
D’autres, privilégient nettement l’étrangeté et l’expriment avec force détails et exubérance.
Ils se meuvent dans une poétique débridée du décoratif et expriment ainsi leur incompréhension et leur résistance « contre l’abjection et la banalité du siècle » (3).
Beauté aussi parfois, pour dépeindre un mal-être personnel, une incapacité chronique à trouver un sens au jeu social et des réponses aux peurs qu’il inspire. Enfin, Jeremy Hatch et Kim Simonsson partagent une vision à caractère mythologique et la nostalgie d’un âge primitif, vécu « comme un moment élu de fusion » (4) avec la nature.
Toutes les céramiques présentées dans le cadre de l’exposition Beautés équivoques interrogent, de façon plus ou moins directe, la conscience du visiteur.
Stéphanie Le Follic-Hadida
Commissaire et auteur des textes du catalogue.
Docteur en histoire de l'art, Vice-présidente de l'Académie internationale de la Céramique (AIC / IAC),
Membre fondateur du salon de céramique contemporaine C14-PARIS.
1-Titre d’un livre coécrit par Emmanuel Fureix et François Jarrige, la Découverte, 2015.
2-Paul Ardenne, Un art écologique, création plasticienne et anthropocène, La Muette / Le Bord de l’Eau : « Car l’anthropocène est là, cette ère de la vie de notre planète où les effets de l’activité humaine affectent celle-ci, en surface et dans l’atmosphère. » « [...] moment inaugural de l’histoire de notre planète où les activités humaines ont acquis le pouvoir d’agir sur le cours géologique de nos milieux de vie. »
3-Séverine Jouve, Obsessions et Perversions dans la littérature et les demeures à la fin du 19e siècle, collection Savoir : Lettres, Hermann, 1996.
4-Ardenne, Op. cit., p.95.
Flash sur les créateurs
Linda Cordell
Chez Linda Cordell, le paradoxe d’emblée mis en évidence entre la joliesse du sujet en porcelaine et le sentiment de répugnance assaille le spectateur, le prend à la gorge.
Alessandro Gallo
Les figures en grès biscuité et peintes à l’acrylique d’Alessandro Gallo reposent sur le stratagème plastique de l’hybridité.
Jeremy Hatch
Jeremy Hatch propose une cabane-arbre en porcelaine moulée, à taille réelle, une sorte de pommier, grossièrement amputé, qui porte en son centre un abri de planches sommairement cloutées.
Beth Katleman
Mastering Paradise, monumental relief spécifiquement réalisé pour l’exposition, s’inscrit dans cette suite d’installations en trois dimensions, dont Beth Katleman s’est faite la spécialiste depuis 2010 (Folly, Hostile Nature ou plus récemment Arcadia).
Andrew Livingstone
Andrew Livingstone, artiste et historien de l’art, aime à contextualiser ses démarches et à explorer l’objet en regard de l’histoire dans laquelle il s’inscrit.
Calvin Ma
Après s’être intéressé à l’idée du jouet remonté de l’enfance et diversement incarné par des figurines, Calvin Ma se fixe aujourd’hui sur la figure de l’oiseau anthropomorphe : masque double, ailes et jambes.
Wookjae Maeng
Wookjae Maeng croit en la capacité de l’art à changer les états de fait. En tant qu’artiste, il se sent investi d’un rôle et d’un devoir d’éveil des consciences.
Maria Rubinke
Au premier regard, une apparente joliesse, des codes de présentation de l’objet respectés et plutôt classiques, des formes lisibles et s’apparentant à des choses connues...
Erika Sanada
Belles et perturbantes tout à la fois, les créatures parfaitement équivoques produites par Erika Sanada donnent un écho métaphorique à ses émotions.
Kim Simonsson
La sculpture de Kim Simonsson est narrative mais non ouvertement politique. Sa série Moss People, exposée pour la première fois en 2016, reste à la lisière des imaginations et des interprétations.
Linda Swanson
La question environnementale, liée à celle du devenir de l’homme, est dès le départ au coeur de la démarche de Linda Swanson.
Russell Wrankle
Le sentiment d’étrangeté est ici d’emblée très perceptible. S’inspirant des animaux des Fables d’Esope, la sculpture de Russell Wrankle fait appel à la figure animale (chiens, lapins, crabes, singes et crapauds) et à sa symbolique (fidélité, fertilité etc...) pour dépeindre la condition humaine sous l’angle existentialiste et autour de cette bipolarité vie/mort.
Chez Linda Cordell, le paradoxe d’emblée mis en évidence entre la joliesse du sujet en porcelaine et le sentiment de répugnance assaille le spectateur, le prend à la gorge.
Alessandro Gallo
Les figures en grès biscuité et peintes à l’acrylique d’Alessandro Gallo reposent sur le stratagème plastique de l’hybridité.
Jeremy Hatch
Jeremy Hatch propose une cabane-arbre en porcelaine moulée, à taille réelle, une sorte de pommier, grossièrement amputé, qui porte en son centre un abri de planches sommairement cloutées.
Beth Katleman
Mastering Paradise, monumental relief spécifiquement réalisé pour l’exposition, s’inscrit dans cette suite d’installations en trois dimensions, dont Beth Katleman s’est faite la spécialiste depuis 2010 (Folly, Hostile Nature ou plus récemment Arcadia).
Andrew Livingstone
Andrew Livingstone, artiste et historien de l’art, aime à contextualiser ses démarches et à explorer l’objet en regard de l’histoire dans laquelle il s’inscrit.
Calvin Ma
Après s’être intéressé à l’idée du jouet remonté de l’enfance et diversement incarné par des figurines, Calvin Ma se fixe aujourd’hui sur la figure de l’oiseau anthropomorphe : masque double, ailes et jambes.
Wookjae Maeng
Wookjae Maeng croit en la capacité de l’art à changer les états de fait. En tant qu’artiste, il se sent investi d’un rôle et d’un devoir d’éveil des consciences.
Maria Rubinke
Au premier regard, une apparente joliesse, des codes de présentation de l’objet respectés et plutôt classiques, des formes lisibles et s’apparentant à des choses connues...
Erika Sanada
Belles et perturbantes tout à la fois, les créatures parfaitement équivoques produites par Erika Sanada donnent un écho métaphorique à ses émotions.
Kim Simonsson
La sculpture de Kim Simonsson est narrative mais non ouvertement politique. Sa série Moss People, exposée pour la première fois en 2016, reste à la lisière des imaginations et des interprétations.
Linda Swanson
La question environnementale, liée à celle du devenir de l’homme, est dès le départ au coeur de la démarche de Linda Swanson.
Russell Wrankle
Le sentiment d’étrangeté est ici d’emblée très perceptible. S’inspirant des animaux des Fables d’Esope, la sculpture de Russell Wrankle fait appel à la figure animale (chiens, lapins, crabes, singes et crapauds) et à sa symbolique (fidélité, fertilité etc...) pour dépeindre la condition humaine sous l’angle existentialiste et autour de cette bipolarité vie/mort.
Info+
Exposition du 18 juin 2021 – 2 avril 2022
Fondation Bernardaud
27, avenue Albert-Thomas
87 000 Limoges
téléphone : +33 (0) 5 55 10 55 91
www.bernardaud.com
Fondation Bernardaud
27, avenue Albert-Thomas
87 000 Limoges
téléphone : +33 (0) 5 55 10 55 91
www.bernardaud.com